En politique, un point les rassemble : tous deux ne votent plus depuis des années. Leur retrait des isoloirs n’a pourtant rien d’un abandon ou d’un désengagement. Prudence, comme Antoine, ne supporteraient pas d’être rangés parmi ceux qui « s’énervent mais ne font rien pour que ça change ».
S’engager en politique sans voter, c’est le parti pris par de nombreux jeunes. Parmi les 18–24 ans, 76 % ont boudé les dernières élections régionales, en décembre 2015. Idem chez leurs grands frères et sœurs : seul un tiers des 24–35 ans a participé au scrutin, contre 50 % pour l’ensemble de l’électorat français.
Lassés des scandales politiques, Prudence et Antoine ont été séduits par un « club de discussion » intitulé « Ma Voix ». Sur la page Facebook du mouvement citoyen, qui compte près de 10 000 abonnés, une phrase épinglée depuis plusieurs mois accueille les visiteurs : « Nous sommes de ceux qui n’arrivent plus à aller voter la tête haute. » Une manière de fédérer des jeunes sur lesquels les affaires Cahuzac ou Bygmalion ont un effet repoussoir. Des organisations politiques jouent sur la même corde et réfutent désormais le nom de « parti », à l’instar de Nous Citoyens, qui se définit comme un « mouvement non partisan ».
Le projet « Ma Voix » consiste à expérimenter une nouvelle forme de démocratie participative, « de démocratie tout court », disent ses affidés. Loin des partis politiques et des politiciens de carrière. Concrètement, les centaines de membres de la communauté se réunissent régulièrement, à Paris mais aussi à Lyon (Rhône), Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Strasbourg (Bas-Rhin) ou à distance, via Skype. L’objectif est d’élaborer un programme commun, né de la discussion, sans qu’aucun leader ne soit là pour trancher.
Des voix de #mavoix pic.twitter.com/COpxpxyxKv
— Antoine Brachet (@antoinebrachet) February 3, 2016
« J’avais peur que ce ne soit que les grandes gueules qui prennent la parole, avoue Prudence. En fait, pas du tout. C’est perturbant de ne pas avoir quelqu’un pour mener la discussion mais j’ai trouvé ça constructif. » A terme, « Ma Voix » veut « hacker l’Assemblée nationale en 2017 ». Le groupe désignera son candidat aux législatives par tirage au sort. Il sera, s’il est élu, le représentant de la communauté dans l’Hémicycle, et son seul rôle sera de porter la voix du groupe pendant cinq ans, même si la position collective va à l’encontre de ses opinions personnelles.
La première fois que Prudence a entendu parler du projet, c’était dans le village où elle a grandi : Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire), une commune de 7 000 habitants, près d’Angers. Ses voisins lui ont fait la promotion de cette initiative « mi-hippie, mi-communiste ». Elle a voulu creuser et se faire sa propre idée. Aujourd’hui, bien qu’elle ne soit pas convaincue que cela fonctionnera, Prudence veut y croire.
Comme Antoine, Prudence est sensible à cette envie de se détacher des partis et d’une élection présidentielle où la personnalité des candidats éclipse trop souvent les programmes à ses yeux. A priori, aux élections présidentielles de 2017, les deux s’abstiendront encore une fois. Question de principe. Un seul élément pourrait leur faire changer d’avis. Pour qu’ils se retranchent dans l’isoloir, il faudra que Marine Le Pen parvienne au second tour.